Montréal, ville fermée
Par Linda Chéry / Rédactrice en chef
Photos : Mikhail Nilov | S. Kelly
Plusieurs fois l’idée m’est venue de quitter Montréal. Mais cette pensée a toujours été un éclair, témoin d’une certaine fatigue mentale. Mon esprit n’a jamais pu se réconcilier à ne plus déambuler dans les rues pavées du Vieux-Montréal, ou admirer la cohabitation de la modernité et de l’architecture Victorienne un peu partout dans la ville. Ce qui me rattache surtout à Montréal, c’est l’âme de cette ville, de tous les souvenirs qu’elle revêt pour moi et ces histoires que je partage avec ma fille tout en pointant du doigt l’endroit exact où tout s’est passé.
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Je fais partie desplus de 100 000 Antillais qui vivent à Montréal. Francophones ou Anglophones, nous représentons autour de 3 % des Montréalais, originaires des 26 pays des Caraïbes. La plupart d’entre nous sont de deuxième génération d’immigrants et représentent une grande force économique et intellectuelle.
Malgré ce beau portrait de ma communauté, j’en suis venue à la réalisation que nous avons énormément de réussites individuelles mais peu de réussites collectives.
Notre communauté n’a aucune cohésion. Nos actions et réactions sont isolées, mal encadrées et inefficaces. Il n’y a qu’à se rappeler les quelques incidents négatifs du passé, pour se rendre compte que la plupart d’entre nous ne connaissent que l’indignation et s’arrêtent brusquement quand il s’agit de poser une action concrète. Talk is cheap!
Nous ne sommes pas seuls au monde. Les autres nous regardent au travers de leur pare-brise en traversant en coup de vent notre monde. Dans le besoin, on nous tend la main tout en nous pointant du doigt, navré de ne pas pouvoir faire plus. Divide and conquer.
Récapitulons
En 2023, la Ville de Montréal s’est mis les pieds, la tête et les mains dans le plat en refusant le permis et le financement habituel à la Caribbean Cultural Festivities Association (CCFA), laquelle organisait le défilé annuel de la Carifiesta depuis plus de 40 ans. Annulation complète en 2023.
Cette année, la Ville de Montréal a encore refusé le permis et le financement à la CCFA mais a approuvé la Carimas à une nouvelle coalition chapeautée par Barbados House Montréal Inc. Une publication Facebook confirme que plusieurs associations font partie de ladite coalition. Aucun doute qu’ils ont l’expérience et le savoir pour ce genre d’événement.
Plusieurs verront du positif à cette nouvelle. Je les entends déjà : ‘‘Au moins il y aura un carnaval cette année’’. Ces mêmes personnes sont celles qui ne participent pas à l’activité, qui ne sortiraient pas un sou de leur poches pour soutenir l’initiative, mais sont aux premières loges lorsqu’il s’agit de comparer, critiquer le concept, l’organisation et le manque de retombées économiques.
Mais je ressens un malaise profond, à lire les raisons du refus de la Ville. Je suis encore plus déstabilisée par leur décision de choisir de passer le flambeau à une autre organisation pour exactement la même chose! J’en rirais si ce n’était pas tragique.
Imaginez le défilé de la Saint-Jean Baptiste retiré à la Société Saint-Jean Baptiste ou encore Les Sociétés irlandais unies de Montréal se faire refuser un événement qu’elles gèrent depuis 1928.
J’entends d’ici les excuses et les explications. Aucune organisation n’est sans faille. On se rappelle encore l’annulation soudaine du défilé de la Fierté,le 7 aout 2022. L’année suivante tout a repris avec le même organisme et la même équipe sans perdre le rythme. Des critiques, il y en a certainement eu, mais mêmes les médias ont exercé beaucoup de retenue dans le dossier.
De notre côté, on prend un malin plaisir à s’autoflageller. Nous perdons parfois tellement de temps à se battre contre des personnes que l’on considère comme ennemis de la cause, qu’on ne rend pas compte que les embûches sont souvent placées à l’extérieur de nos communautés.
Il faut se rendre à l’évidence: les Montréalais ne veulent pas d’un groupe de personnes à moitié nues au Centre-Ville en train de se déhancher au son d’une musique endiablée. A la rigueur, si ces déhanchements amenaient quelques dizaines de millions, la plupart fermeraient les yeux en se rendant à la banque. On ne va pas se mentir en pensant que l’Économie soit complètement absente de l’équation.
La Ville de Montréal, consciente de sa bévue de 2023 n’allait pas répéter la même erreur. Trop de voix en général silencieuses, se sont élevées après cette gifle retentissante. Il était d’autant plus difficile pour la Métropole de faire un 360 degrés après que certains fonctionnaires aient largement critiqué la CCFA, bien à tort, dans les médias. Mais l’objectif final devient de plus en plus clair. They want our rythm but not our Blues.
Lavons le linge sale.
À Montréal, nous gagnons clairement individuellement mais nous avons échoué en tant que communauté noire. Nous passons plus de temps à énumérer nos différences au lieu de nous attarder à ce qui nous rassemble. Nous avons dix mille raisons justifiant le fait que nous ne nous supportons pas conjointement, alors que nous devrions avoir une seule raison de le faire. Le manque de professionnalisme, les prix exorbitants et le service à la clientèle défaillant est accepté chez l’autre tandis que la plupart d’entre nous n’ont que des demi-chances.
Avec aplomb, beaucoup s’approprient nos réussites individuelles alors qu’ils n’avaient pas levé le petit doigt pour y contribuer.
La saga de la CCFA devrait nous servir d’avertissement. Notre communauté a besoin d’un sérieux réajustement. Il est temps pour nous revenir à l’union indestructible. Notre façon de faire et notre attitude est une malheureuse construction historique et sociale. C’était une question de survie. Aujourd’hui elle nous mène tranquillement à notre perte.
Beaucoup ne seront probablement pas d’accord mais mes opinions ne sont pas vraiment des sujets de débat.
Comme dirait Nene Leakes:
I said, what I said. You don’t like it; you don’t like it!